Réalisatrice, photographe, artiste ayant fait ses armes au Danemark, vivant à Oslo et entretenant un lien privilégié avec la France, Julie-Christine Adélaïde Krøvel multiplie les casquettes tout en gardant le souci d’accessibilité que nous lui connaissons. Que nous lui connaissons ? Oui ! Julie a été l’une de nos étudiantes en cours de francais et reste une amie fidèle de Fransk kulturhus. Raison de plus pour nous de soutenir son travail à l’occasion de la sortie de son documentaire (en francais) intitulé Ça Roule !
Rencontre avec une artiste fidèle à son identité, passionnée par l’expérimentation autour des sources de lumières, des filtres et techniques de traitement croisé.
(Fransk kulturhus) – Comment as-tu eu l’idée de réaliser un documentaire sur les femmes à rollers en France ?
(Julie-Christine) Je suis partie d’un constat : j’ai remarqué que le roller (ou patin à roulettes) était très répandu en France et dans d’autres régions d’Europe ou aux USA. À l’inverse, je constate qu’en Norvège ça ne s’est pas développé de la même manière. Il manque de véritables infrastructures.
Je dirige par ailleurs l’association Girls on Wheels à l’Arena Bekkestua avec 100 filles membres. Il faut dire que ce sport attire souvent les femmes, car il s’agit surtout d’être en mouvement, de danse et de musique.
C’est ce que j’ai moi-même vécu lorsque j’ai rencontré CIB PARIS, à Paris, il y a trois ans. Les filles françaises m’ont accueilli à bras ouverts, j’ai ressenti une unité et un esprit d’ouverture très chaleureux.
Il y avait surtout une femme qui se prénomme Cécile (de CIB TOURS) qui est devenue plus tard ma particulièrement bonne amie. Nous avons discuté et avons vite remarqué que nous avions le même humour, les mêmes goûts musicaux…une amitié pour la vie !
J’ai été invitée dans sa famille à Tours où je vais aussi souvent que possible. Et sur ma route en tant que cinéaste et photographe, mais aussi en tant que personne, je fais constamment des nouvelles rencontres passionnantes.
J’écoute leurs histoires sur la politique, sur le fait d’être jeune en France, sur l’éducation et sur le travail. Et le dénominateur commun, ce sont les patins à roulettes avant tout. L’environnement du patin à roulettes a un impact important sur de nombreuses personnes, en particulier sur de nombreuses femmes qui, ensemble, trouvent de la joie et un peu de liberté par rapport au quotidien.
Après avoir patiné en France seule et avec des femmes à Paris et à Tours, j’ai eu l’idée de faire un documentaire sur toutes ces filles françaises. Sur l’unité, les gens, leur histoire et leurs défis quotidiens.
J’y ai trouvé un large éventail de personnes, un environnement multiculturel, et j’espère qu’un maximum de personnes entendront leurs témoignages grâce à mon documentaire.
– Ton documentaire aborde plusieurs thèmes : la pratique du sport, la place des femmes dans la société, la question des inégalités sociales… Était-ce ton objectif dès le départ ?
Non, au départ je voulais vraiment faire un documentaire sur le roller (à Paris) qui devait surtout parler de sport et d’infrastructures sportives.
En rencontrant et en discutant avec plusieurs personnes, j’ai découvert de nouveaux aspects qu’il me semblait important d’éclairer. Partout en France. Il y a eu de nombreuses choses que je ne comprenais peut-être pas en tant que Norvégienne et que je voulais comprendre en passant plus de temps sur le terrain et en multipliant les rencontres.
Je connaît certes Paris car j’y exerce mon métier de photographe/réalisatrice depuis plusieurs années, mais j’étais peut-être passé à côté de certains aspects de la société française.
Ma propre vie a consisté à être et à défendre la personne que je suis, j’ai eu de nombreux défis qui m’attirent naturellement vers des gens qui défendent ce en quoi ils croient, qui peuvent avoir des problèmes différents et sont mis à l’écart de certaines opportunités.
C’est pour cette raison qu’il me semblait naturel d’intégrer des aspects sociologiques à mon documentaire.
Je me reconnais dans de nombreuses anecdotes et réflexions que j’entends, je pense que la société a besoin de les entendre à son tour.
Les thèmes de « Ça Roule » sont le roller, les différences sociales, l’égalité des chances, le développement personnel, la solidarité et ce que c’est que d’être jeune en 2022. Pour le meilleur et pour le pire.
C’est un documentaire sur les défis mais aussi sur la joie.
– Peux-tu dévoiler, en quelques mots, les principaux constats de ton documentaire (que disent les femmes que tu as rencontrées) ?
Que les femmes à rollers sont solidaires, toujours là l’une pour l’autre. Qu’il peut être difficile d’être seule sur un skate park, qu’en tant que fille, où les femmes sont souvent victimes de discrimination.
La discrimation s’impose sous forme de commentaires, de sexisme, de sous-entendus, de regards et/ou de harcèlement. Elles peuvent être discriminées en tant que patineuses à roulettes, en tant que fille / jeune femme et aussi, surtout, pour leur couleur de peau.
Le fait qu’elles se regroupent dans les skate parks, qu’elles patinent ensemble dans les rues…tout cela leur permet d’être fortes et d’atteindre de nouveaux objectifs. Et cela attire de nouvelles femmes qui rejoignent la bande.
Je vis moi-même les mêmes choses que ce qu’indiquent ces témoins, en tant qu’athlète quand je suis en France, mais aussi en Norvège, même si c’est peut-être moins fort.
– T’es-tu inspirée d’autres documentaires ? As-tu des réalisateurs favoris ?
Je suis très inspirée par l’histoire de la France après les années 1960, en particulier sur l’histoire de l’immigration et l’histoire sociologique des banlieues parisiennes.
Après avoir regardé « Les Misérables » de Ladj Ly, j’ai été très marquée, et même si ce n’est pas un documentaire sur le milieu du roller, les thèmes que j’évoque dans « Ça Roule » dressent un constat identique.
Ce sont les gens qui m’entourent dans la rue qui sont mon inspiration, j’ai toujours pensé ainsi. Je m’interroge toujours sur les histoires vivantes que l’on ne peut pas voir au premier regard, à ce qui se passe derrière les façades.
Le simple fait d’être assis dans le métro et de regarder les gens autour de moi m’inspire, de préférence ceux qui n’ont pas tous les moyens dont disposent les plus privilégiés.
Au-delà de ça, je vois beaucoup de documentaires et de reportages sur ARTE, ce sont peut-être ceux qui m’inspirent le plus. Des interviews et des reportages des années 70-80 et 90 qui ont une forme de réalisme et dans lesquels je me reconnais.
J’ai l’impression que beaucoup de choses sont perdues au profit de la technologie et j’aime donc souvent le matériel artistique d’une époque quasi-révolue ; je filme par exemple toujours avec de vraies caméras VHS, qui datent de 1986 !
– As-tu d’autres projets à venir au sujet de la France ou des liens entre la France et la Norvège ?
J’ai plusieurs projets au sujet des liens d’amitié entre la Norvège et la France et j’espère qu’avec mes capacités et grâce aux valeurs qui sont les miennes, je pourrai contribuer à jeter des ponts entre les deux cultures.
En tant que photographe et cinéaste et pour le patin à roulettes également.
J’espère et j’attends avec impatience de nouvelles collaborations qui seraient binationales ou qui aideraient à aller au-delà des frontières. Il y a, je crois, de belles opportunités que beaucoup ne soupçonnent pas.
J’espère faire un « Ça Roule 2 » ; j’y travaille déjà !
« Ça Roule – Que disent les meufs en France ?«
Paris, Tours et Nantes
La société change, la démocratie est menacée dans le monde entier. Qu’est-ce qu’être jeune adulte en France en 2022 ? Chaque fois que je voyais les mots « Pour tous les français » je me demandais ce que cela signifiait vraiment.
Et que disent les meufs en France ? Est-ce l’égalité des droits pour tous ? Comment vit-on le fait d’être arrêté par la police sans raison, juste pour sa couleur de peau ? Voilà l’une des nombreuses histoires que j’ai entendues des meufs. Voici les meufs que j’ai trouvées à Paris, Nantes et Tours, leurs histoires et leurs réflexions dans un monde peut-être plus difficile que jamais. En tant que photographe j’ai cherché des personnalités originales, les personnes qui ont des histoires personnelles et leurs expériences quotidiennes en France. Il y a plusieurs histoires choquantes, marquantes, fruits de situations inconnues pour moi en tant que Norvégienne. Même s’il y a des injustices en Norvège, j’ai l’impression qu’il y a moins de différences. J’ai décidé de faire un documentaire avec une expression artistique, avec le son, la musique, la cinématographie, les photographies…Bref, avec le monde que je connais le mieux. Je vis dans un monde de couleurs et de contrastes.
Pour moi la communauté du roller en France reflète l’ouverture, sans distinction de race ou de sexe ; elle vous souhaite toujours la bienvenue ! Les choses que j’ai découvertes en rencontrant les filles en France sont les mêmes que dans mon parcours personnel sur quatre roues. Il y a un nouveau monde qui s’est ouvert à moi, avec de nouvelles amitiés et un nouveau sens de la maîtrise de soi.